Rapport sur le concours 2011
RAPPORT
SUR LE CONCOURS
DE LA CHANSON POÉTIQUE
Lu en Séance Publique
le 3 mai 2011
par
Le Professeur André-Paul BÈS
l’un des censeurs de l’Académie
Monsieur le Secrétaire perpétuel,
Chers confrères,
Mesdames, messieurs,
La Rose d’argent, nouvelle fleur dans le bouquet académique, a déjà huit ans : elle est attribuée cette année à Barbara Deschamps, de Lapalud dans le Vaucluse. Auteur compositeur interprète, elle est douée d’une voix remarquable et d’une diction parfaite, qu’elle met au service d’un texte que je dirais « classique » : poésie soignée, qui fait défiler les images de paysages agrestes et traditionnels, cartes postales bucoliques qui auraient plu à Jean Ferrat, auquel l’auteur fait d’ailleurs un petit clin d’oeil… « Comme la montagne est belle… », ont-ils dit l’un et l’autre :
« Je vais remonter la falaise par le chemin des braconniers
Et tous les parfums de la terre me souffleront le goût du vent
J’irai marcher dans la bruyère de Serrières à Saint André
Tous les villages de l’Ardèche ont couleur de légende
Et les villages de l’Ardèche une légende à raconter… »
Nul ne se plaindra de la recherche du mot précieux, nous voici rassurés sur notre époque :
« Je vais descendre la rivière et j’en compterai les méandres,
L’eau qui a fendu la pierre l’a fait de si jolie façon… »
« Horizon planté de vigne brodé de soleil et de rosiers…
Forêts noires, terres roses dans les hivers d’or et de givre… »
Ces paysages familiers nous charment aisément car chacun peut y retrouver des racines. La mélodie est agréable, Barbara Deschamps s’accompagne elle-même de parfaite façon et sait nous envelopper d’une douceur teintée d’un peu de mélancolie. Elle est heureusement accompagnée par la voix de Céline Hontaas, de Lapalud également.
Cette oeuvre réussie pourrait susciter nos réflexions sur bien des aspects de la chanson poétique. Je m’en tiendrai à dire que nous avons l’exemple même de la veine la plus souvent exploitée dans nos concours : l’émotion devant la nature… qu’y a-t-il de plus immédiat, nous n’allons pas nous plaindre que survive ce lyrisme romantique, mais on conçoit bien la difficulté du renouvellement pour éviter les antiennes ressassées qui donnent parfois aux oeuvres qui nous sont présentées un parfum désuet et quelque peu conventionnel.
Écueil que Barbara Deschamps a su parfaitement éviter dans sa chanson « J’ai un pays à visiter » ; elle serait sûrement au comble de la félicité si vous alliez visiter l’Ardèche en fredonnant sa mélodie.
Une médaille de vermeil récompense Anne Krynen, de Toulouse, pour sa chanson « Fuite d’étoiles ». Avec sa voix juvénile, haut perchée, elle donne de l’éclat à un texte fort bien écrit, qui fut l’oeuvre de son grand-père, elle a eu la délicatesse de le mentionner :
« Je regardais au ciel s’en aller les étoiles
Dans le profond azur, laissant sur leur chemin
Une trace de feu – Nous nous donnions la main
Et je voyais ses yeux s’éteindre sous leurs voiles…
De nos doigts enlacés se dénoua l’étreinte
Et je sentais tomber sur ma main un peu d’eau…
Elle pleurait… »
La mélodie est simple et bien qu’elle paraisse quelque peu allègre, elle distille en fait une émotion pudique. Les sonorités d’un orgue de barbarie conviennent bien au refrain en ritournelle. C’est un bon exemple du soutien apporté par la musique à un texte de qualité qui serait sans cela resté sans doute ignoré.
Une médaille d’argent est attribuée M. Patrick Bouillanne, de Saint-Pierre à La Réunion, pour sa chanson « Fleur de lune ». Une émotion retenue émane de ce texte fort, car on devine la perte d’un petit être cher :
« Tes habits de Pierrot
Tendre Colombine
Arlequins de ta peau
Ont des ailes trop fines…
Petite fleur de lune
Petite fleur de miel
Petit oiseau sans plume
Tu as perdu le soleil »
L’accompagnement musical donne ici plus qu’ailleurs une nouvelle dimension au texte, c’est une fois encore l’occasion de dire notre difficulté à vous faire partager ce qu’est réellement une chanson poétique, si on ne vous donne pas la mélodie en partage, cela se fera bien sûr.
Dans l’oeuvre de Patrick Bouillanne, le piano est subtil, excellent, et l’intervention épisodique du saxophone crée un fond sonore suave.
Monique Longy revient dans notre palmarès, solidement accompagnée comme toujours par Robert de Miro. Nous retrouvons avec plaisir sa voix bien posée et son excellente diction. Il s’agit d’un message venant « De l’autre rive », une protection tutélaire continuera à veiller sur l’être aimé :
« Je t’écris de mon nuage
Ici, tu sais, je n’ai plus d’âge
Je vole par-dessus les années
Dans le ciel de l’éternité…
Je t’écris de l’autre rive
Pour chasser les voix plaintives…
Je te tiendrai par la main,
Par-delà les lendemains. »
Cette chanson d’une touchante simplicité s’inscrit bien dans l’oeuvre de Monique Longy qui affirme ici sa personnalité et son style ; elle a mérité une Mention avec inscription au recueil.
Cette année aussi, nous avons retenu une chanson en langue d’oc. Nous avons parfois l’impression que l’occitan est moins présent dans nos concours, mais il faut tenir compte du nombre réduit de ceux qui sont capables d’atteindre le niveau élevé de langage qu’exige l’expression poétique ; mais il ne s’agit sans doute que de fluctuations passagères.
En tout cas, Charles Dugros, de Toulouse, a mérité lui aussi une Mention avec inscription au recueil pour « Bufarà / Ressoufflera » : chanson engagée, dans une bataille vieille de huit cents ans, dont les blessures ne sont peut-être pas toutes cicatrisées…mais il semble bien que le vent du pardon souffle de Montségur.
La chanson, aujourd’hui, envahit notre vie, et souvent sous la forme aberrante d’un spectacle, où la place est prise par le bruit, le rythme bien plus que la mélodie, la lumière agressive et explosive. Le chanteur bigarré est entouré de charmantes créatures aux longues jambes, parfaitement capables de détourner l’attention d’un texte inexistant…
Il faut savoir entendre l’autre chanson, qui mérite de plus en plus d’être appelée chanson poétique. C’est la poésie des jeunes, poésie populaire certes, celle du plus grand nombre, mais serait-ce le moins du monde péjoratif ? Notre génération a fini par reconnaître la qualité et accorder respect aux « grands » des années soixante que l’on cite toujours, ce dont je m’abstiendrai. Mais dans leurs pas s’avancent leurs successeurs plus nombreux, aussi audacieux et exigeants. Ecoutez sans a priori Gérard Manset, Alain Baschung, Francis Cabrel, Jean-Louis Murat, Hubert-Félix Thiefaine… liste parfaitement arbitraire d’ailleurs, que vous pouvez compléter ou contester à votre aise. Vous trouverez chez eux quelques perles, beaux poèmes où mots et sons se rencontrent et s’épousent pour nous toucher au coeur, cette mystérieuse alchimie de la chanson accroche dans nos mémoires une insidieuse ritournelle qui surgit de temps à autre pour accompagner nos moments de joie et plus encore de mélancolie.
En quoi notre vieille académie peut-elle servir la cause de la chanson poétique, en admettant que cette plante vivace ait le moindre besoin de nos soins ? Peut-être en proclamant que cette poésie d’aujourd’hui mérite plus qu’une estime condescendante, et s’il ne s’agit pas d’une ambition prétentieuse, elle peut contribuer à lui accorder des lettres de noblesse.
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Anne Krynen médaille de vermeil au concourt de la chanson poétique 2011 de l'Académie des jeux floraux pour "fuite d'étoiles"
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